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Art thérapeute, hortithérapeute et militante : portrait d’une femme engagée.

Art thérapeute, hortithérapeute mais pas que...

Je vous adresse aujourd’hui ce portrait qui aura demandé pas mal d’échanges, de temps et d’énergie afin de voir le jour, tant la vie de Tamara Singh est riche et pleine de sens. 

Au fait…Vous est il arrivé à vous aussi d’être entouré de personnes, certes que vous appréciées, mais dont finalement vous ne savez pas grand chose ? (j’espère que certain (e) s diront que oui sinon je n’ai plus qu’à aller me cacher, plier en deux sous le poids de la honte !)

Tamara fait parti des personnes que je côtoie dans mon réseau de professionnelles des jardins de soins depuis plusieurs années déjà, et pourtant je n’ai jamais vraiment pris le temps de me poser un instant et de me dire : « hé ! et si on apprenait à se connaitre davantage ? »

 

Ce qui m’amène à penser que bien souvent nous avons autour de nous bien plus de ressources que nous l’imaginons.

Il en va de même pour vous toutes et tous, qui souhaitez monter un projet de jardin, changer vos pratiques en y mettant plus d’humain, plus de sens grâce au jardin et à la pratique hortithérapique.

Regardez, écoutez, prenez le temps de connaître les gens qui vous entourent, celles et ceux que vous croisez quotidiennement, mais qui finalement vous ne connaissez pas si bien.

Peut être sans le savoir, elles ou ils, ont la solution ou du tout du moins des réponses à vos questions, problématiques du moment. A bonne entendeuses, entendeurs…

Je vous invite à découvrir Tamara dans ce début de portrait qui apportera peut être des réponses à vos inquiétudes du moment…

Parcours (en bref)

Ne lui dites rien  🤫 mais au fond de moi je pense que Tamara à au moins plusieurs centaines d’années d’existence, tellement sa vie est déjà bien remplie, intense et riche. Vous allez très vite comprendre pourquoi je pense cela… 😉

T.S :

Je suis hortithérapeute art thérapeute clinicienne avec une expérience en soins aigus à l’hôpital et en institution de soin de support.

Formée aux Etats unis où l’hortithérapie s’est professionnalisée depuis plus d’une trentaine d’années, l’art thérapie complémente mon approche, car je suis plasticienne.

Aujourd’hui je me consacre à une pratique clinique auprès de personnes socialement éloignées du soins, de par leur parcours, leur exclusion, leur précarité,  en souffrance psychique ou psychosomatique.

J’ai un engagement associatif et militant auprès de personnes précarisées, auprès des personnes dites immigrées et descendants d’immigrés, dans la communauté LGBTIA, de même que j’œuvre pour la justice sociale et environnementale

Je vois difficilement comment être hortithérapeute sans être impliquée socialement. 

Tamara dans un jardin botanique de la capitale.

Mon propre cheminement polyglotte, polyculturel issu de deux classes opposées, avec handicap invisible me permet une interrogation sans répit dans ma posture et mon accueil de l’Autre en souffrance.

De la théorie ...

Je suis arrivée à l’hortithérapie par :

  • l’anthropologie de la culture matérielle et l’histoire du paysage d’une part;
  • par les arts plastiques et de la performance de l’autre.

Ce mariage académique et artistique m’emmena à Bernard Lassus, lui-même plasticien et paysagiste de l’Ecole d’Architecture- la Villette. C’était une des portes d’entrée, ou plutôt le début d’une péripétie enrichissante.

Mon mémoire de DEA Jardins Territoires Paysages, porta sur le tournant hygiéniste des urbanistes-architectes européens (anglais hollandais, français) et américains fin de siècle (1890-1950) dans leur  volonté politique de prévoir et créer des espaces végétalisés salubres dédiés aux enfants des classes laborieuses citadines.

De façon pratique, une fois à Londres, où j’ai fréquenté Central St Martins et l’University for the Arts, j’ai monté des ateliers d’arts végétaux et d’architecture dans des jardins d’écoles primaires. 

C’est à ce moment que le manque d’outils pour penser la prise en charge des enfants a dû m’interroger. Il fallait pallier à une fragilité professionnelle. J’ai pu m’y consacrer une fois revenu chez moi aux Etats-Unis.  A  NYC (New York City) j’ai été formée par les hortithérapeutes de Rusk Institute et du Enid Haupt Glass Garden du NYU Langone Hospital en lien avec l’école de formation universitaire du New York Botanical Gardens

à la pratique

Par la suite, j’ai exercé à NYU Langone Hospital et à Terence Cardinal Cooke. Ces deux expériences professionnelles très riches ont permis à ce que j’explore la multiplicité d’approches possibles entre les murs et dans les couloirs d’une institution de santé en soins aigus.

Il y avait les patients atteints par un trauma grave et handicapant :

    • Avc
    • trauma crânien
    • accidentés de la route

mais aussi  des personnes avec des problématiques congénitales :

    • scléroses en plaques
    • Guillaume Barre
    • épilepsie
    • paralysie cérébrale

ou de la co-morbidité complexe :

    • en cardiologie
    • en hémodialyse…

soit des personnes neuro-diverses  :

    • autisme
    • Alzheimer
    • Parkinson
    • haut potentiel…

puis en psychiatrie :

    • dépression avec TS (tentative de suicide) ou psycho-trauma.

Les hôpitaux de la ville de NYC sont vastes. L’équipe d’ hortithérapeutes se déplaçait pour aller dans plusieurs unités de l’hôpital. C’était très formateur.  

La force du réseau

En lien et en réseau avec des psychologues qui font de la réorientation notamment, je propose aujourd’hui une prise en soin des personnes qui peuvent bénéficier d’une thérapie à médiation de préférence non verbale.

Le faire plastique, la création, le processus de création agissant comme des leviers permettant de soutenir une demande de changement dans un parcours singulier.

Le fait d’être en lien avec d’autres professionnels de la santé mentale est également soutenant, voir légitimant pour moi en tant que professionnelle dans un pays qui peine à reconnaître et à protéger l’art thérapie, sans parler de l’hortitherapie.

Covision, Intervision, Supervision, Co-collaboration, sont importants quand on accompagne des personnes vulnérables.

Comment être identifié ?

Au cours de nos échanges, Tamara revient sur un point qui me semble tout à fait d’actualité encore aujourd’hui, à l’heure où les français prennent doucement conscience qu’une autre manière de soigner existe, que des possibilités de médiations plus en accord avec notre propre nature sont possibles… quel titre se donner ? A quelle « catégorie » professionnelle se raccrocher sans pour autant dénaturer ce que nous faisons, qui nous sommes et ce qui nous anime ? Bienvenue dans le monde des « étiquettes » ! 

T.S : Depuis mon arrivée en France, beaucoup d’aventures, beaucoup de rencontres car si le paysage des professionnels travaillant a la croisée du soin et de la nature est très étonnant en France, c’est un paysage très diverse en terme de profils !  Donc la première chose à entériner : 

  • c’était l’identification de pairs.

Car sans pairs, sans collègues, sans cadre je voyais mal comment avancer avec le filet de sécurité qu’offre le fait d’être enveloppé et contenu par un réseau de professionnels.   

Il faut pouvoir faire face avec de l’humour. Par exemple parler d’hortithérapie m’a  bien valu des regards perplexes voir plus. On m’a même regardé de travers en pensant que je faisais des breuvages new age  à partir de plantes dont notamment des orties. 

De fil en aiguille une possibilité s’est imposé à moi comme une évidence. J’ai décidé de faire le lien notamment avec les art thérapeutes.

Il était important pour moi de trouver des confrères et consoeurs professionnelles, ne pas être isolé, surtout quand on est psycho-praticienne. J’ai eu la chance de faire cette rencontre-la à l’hôpital Ste Anne à Paris, qui a une longue et illustre histoire en art thérapie, tant par son offre de soins tant par sa formation d’art thérapeutes. J’ai pu y trouver des collègues avec qui échanger, sur qui parfois se reposer.

Je me suis rapprochée des art thérapeutes et suis retournée sur les bancs de l’école. J’ai pu compléter ma formation à la faculté de médecine Descartes. De là j’ai monté des programmes, et j’ai rencontré des personnes et des projets porteurs.

Il y a comme un air de famille entre l’hortithérapie et l’art thérapie.

L’art thérapie étant une autre  thérapie à médiation, un peu plus (re)connue dans l’espace publique, il m’arrive donc régulièrement de m’annoncer comme art thérapeute à médiation nature

Mandala au bord de Seine

Peut on vivre aujourd'hui du métier d'hortithérapeute ou d'art thérapeute ?

T.S : C’est difficile d’en vivre. 

Aux États Unis il n’y a peu de postes salariés à temps plein en hortithérapie, malgré une certaine visibilité et une reconnaissance certaine. Les professionnels sont plus souvent prestataires de service, intervenant sur plusieurs lieux. D’ailleurs une partie de la plupart des formations de Horticultural Therapy est consacrée au développement professionnel :

  • comment monter un programme de toute pièce pour une institution (de soin, corporate, associatif….)
  • chercher des subventions (régionales, fédérales, privées, publiques….)
  • de quelles façons penser la génération de revenus pouvant défrayer les coûts d’un programme d’hortithérapie au sein même de l’institution si besoin.

Il faut savoir inventer sans cesse. Chercher sans relâche des pistes de travail. C’est quand même le pays de l’entreprenariat ! 

En France à moins d’être déjà en poste en tant qu’infirmier, ergothérapeute, animateur, jardinier psychologue ou médecin avec un projet et une passion pour le jardin, je pense que cela doit être assez difficile d’être “juste” hortithérapeute

Du coup l’hortithérapie doit s’exercer en binôme avec un autre métier de base. Mais on commence à voir des prestataires de services qui exercent le métier en se réclamant  hortitherapeutes.

La profession a peu de visibilité en France —d’où la création de  FFJNS (Fédération Française Jardins Nature et Santé = regroupement de professionnels du secteur)

La profession n’est pas reconnue, sans parler du fait, barrière majeur, qu’il n’y a pas de formation de type universitaire pour l’hortithérapie. Il faut partir en au nord de l’Europe ou en Amérique du Nord pour ce faire.

Il ne faut pas oublier que l’on travaille avec des personnes fragiles psychiquement ou physiquement, d’où la nécessité d’une formation permettant de comprendre suffisamment les personnes et saisir les écueils des pathologies afin de prendre en compte les objectifs médico-sociaux.

Il faut aussi avoir cette compétence qui est de se saisir d’une formation d’objectifs et de la traduire afin de maximiser les opportunités permettant un bénéfice mélioratif pour la personne accompagnée. 

Concernant l’Art thérapie, aux Etats unis c’est une profession qui est organisée et reconnue depuis au moins 40 ans. Il y des postes, c’est un métier qui a plus d’encrage, la formation requise étant un master.

Aujourd’hui en France il est possible depuis peu de passer même un doctorat en art thérapie.  

La recherche est important même pour avancer le travail dans le jardin. 

Etre créatrice/eur de son propre métier

T.S : Pour l’essentiel je dirais qu’il faut être initiateur pour pouvoir vivre de ces professions.

Personne ne nous attends avec une fiche de poste en main.

Par exemple, avec l’appuie d’une endocrinologue art thérapeute,  j’ai créé un programme pilote d’art thérapie basée sur la nature  auprès de patients en hémodialyse dans une clinique privée de la proche banlieue parisienne. Contournant l’interdiction stricte de travailler avec de la matière organique dans les bâtiments hospitaliers; tout le contraire de ce que j’ai pu connaître à NYU.  J’ai donc introduit le dehors à travers un travail plastique.

L’art thérapie, inspirée par la nature permet de proposer un univers de création aux patients. 

De la même façon je crée des initiatives en militant avec le syndicat français des art therapeutes (SFAT, l’héritier de l’ancien FFAT). Mais je fais également partie de l’aventure qu’est la Fédération Française Jardin Nature et Santé (FFJNS).

Sinon je travaille auprès d’un collectif informel d’ethnopsychologues, qui proposent des services, solidaires et gratuits accessibles aux personnes les plus loins des soins.

Et je suis formatrice dans une association basée au Moyen Orient qui enseigne à des psycho-traumatologues comment s’appuyer sur le jardin et autres médiations non verbales pour accompagner des victimes de guerre.

Que vous inspire cet article ?

Dans un prochain article nous poursuivrons nos échanges avec Tamara en accentuant plus notre regard sur les liens entre Art, Nature et santé grâce à sa qualité de art thérapeute en médiation nature 😉

D’ici là n’hésitez pas à nous faire part de vos réflexions dans les commentaires. 

Dites nous si vous aussi vous avez du mal à vous définir aux yeux des autres lorsqu’il s’agit de parler de votre métier où de votre projet ? Que dites vous dans ce cas ? Qu’est ce qui faciliterait les choses selon vous ? 

  • Si vous avez sauté le pas, comment faites vous pour joindre les deux bouts ?
  • Quels ont été et quelles sont encore vos plus grandes difficultés

Avez vous, vous aussi redoublez d’imagination pour créer le poste, les ateliers qui correspondent le mieux à vos valeurs et qui vous ont permis d’avoir un minimum de reconnaissance au sein des professionnels déjà bien établis, auprès de vos pairs… ? 

C’est avec grand plaisir que la communauté et moi lirons vos retours d’expériences

Gardez le contact

Pour entrer en contact avec Tamara :

Voici un lien vers son site où vous retrouverez ses réseaux sociaux et ses coordonnées

2 commentaires

  • Marion Delamotte

    Bonjour Paule, merci beaucoup pour cet article…il met en perspective un lien que je questionnais egalement entre art therapie et hortitherapie! En effet, c’est la place du corps, du psyche, de la trace…dans une culture où les mots souvent priment sur l’expérience! Revenir au vécu, le permettre, le favoriser…dans les jardins, dans la nature,…merci!!????Marion

    • Paule Lebay

      Avec plaisir Marion. Ne manquez pas la suite de ce portrait dans lequel le lien entre nature art et Homme seront mis en avant. ????

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