Interviews

Le bonheur est dans le jardin

Mes débuts dans les jardins thérapeutiques débutent en octobre 2012. Depuis cette, j’ai toujours gardé le contact avec Isabelle. Isabelle était lors de notre rencontre la seule en France à parler de jardins thérapeutiques dans son blog : Le bonheur est dans le jardin. Suivant mutuellement nos avancées, aujourd’hui j’ai le plaisir de revenir avec elle sur le parcours de celle qui est devenu une amie, dans le secteur des jardins de soins. Regards croisés dont vous pourrez retrouvez le premier acte ici. Première présidente de la Fédération Française Jardins Nature et Santé, elle nous en dit également plus sur le développement de cette toute jeune fédération de professionnels du secteur.

De journaliste à psychologue

A la remise des prix Truffaut en tant que membre du jury aux Tuileries en 2014

Alors que je rencontre de nombreuses personnes aujourd’hui qui souhaitent changer de vie, d’orientation en tentant de trouver une place dans le secteur des jardin thérapeutiques, Isabelle montre que tout changement est possible si l’on s’en donne les moyens. Petit retour sur ses débuts dans l’univers de l’hortithérapie.

Quand j’ai commencé à m’intéresser à l’hortithérapie, j’étais encore journaliste. C’est un métier que j’ai exercé pendant plus de 20 ans. Spécifiquement, j’étais journaliste rémunérée à la pige ce qui m’a toujours permis beaucoup de liberté personnelle et une grande variété professionnelle. La pige n’est pas toujours un choix, mais dans mon cas elle a été la meilleure façon de faire ce beau métier pendant toutes ces années, principalement en France et aussi pendant quatre ans aux Etats-Unis.

Je pense que, quand j’étais ado, j’avais envie d’être journaliste ou psychologue. Après le journalisme, il me restait à aller voir du côté de la psychologie. En 2013 tout en continuant à piger, j’ai commencé une licence de psycho à Paris 8 « pour voir ». Ces trois années d’études m’ont confirmé que je voulais en faire mon nouveau métier et j’ai poursuivi par un master de psychologie clinique à Paris Nanterre avec une orientation en thérapie comportementale et cognitive (TCC).

Depuis juillet 2018, je suis diplômée et dans la foulée j’ai commencé à travailler à temps plein auprès de personnes âgées vivant chez elles et de leurs aidants en région parisienne (dans un CLIC). Ca, c’est ce que je fais le jour. Mais j’ai beaucoup d’intérêts dont l’hortithérapie et l’écothérapie dont on va parler plus précisément. Mes soirées et mes weekends sont bien remplis !

Les débuts du "Bonheur est dans le jardin"

L'expérience américaine

En 2010, je vivais aux Etats-Unis et j’ai découvert, complètement par hasard, un truc qui s’appelait l’« horticultural therapy ». Je faisais une sorte de bilan de compétences et une personne qui avait été chargée de nous faire patienter parce que notre intervenante avait crevé en route faisait un tour de table sur nos centres d’intérêt. J’ai expliqué que j’étais intéressée par la psychologie et par la culture/le jardinage/l’agriculture. « Have you heard of horticultural therapy ? », m’a-t-elle demandé. Bingo !

Avec Marge Levy, HTR - bénévolat dans un accueil de jour dans la région de San Francisco en 2012

Je me suis rapidement renseignée et le Horticultural Therapy Institute de Rebecca Haller et Christine Capra proposait une de ses séries de formation à une dizaine de kilomètres de la ville où je vivais dans la région de San Francisco. J’ai suivi leurs cours et j’ai fait du bénévolat auprès d’une hortithérapeute certifiée dans un accueil de jour pour personnes âgées pendant une petite année.

Retour en France

On était en 2012 et l’heure de rentrer en France, avec mari et enfants, approchait. Au printemps, j’ai eu l’idée de lancer un blog sur ce sujet. Même à distance, je pouvais voir qu’il y avait des choses qui se faisaient en France (notamment je suis rentrée en contact avec Anne et Jean-Paul Ribes avant mon retour). Et pourtant, il y avait peu d’information en français en ligne. En avril 2012, j’ai lancé Le bonheur est dans le jardin avec mon premier billet.

Evolution du blog

Je débordais d’énergie. Je « postais » toutes les semaines, et pendant quelque temps, les billets étaient même en français et en anglais ! En 2016, quand j’ai commencé le master, je suis passée à des billets mensuels car c’était impossible de garder le rythme. Déjà que les nuits étaient courtes. Ça prend quand même pas mal de temps comme tu le sais bien. J’ai même pensé à arrêter complètement même si l’idée me désolait. Et c’est Carole Nahon (animatrice jardin de soins) qui m’a suggéré de simplement changer de rythme. Parfois on a vraiment besoin d’un point de vue extérieur et de recul !

Objectifs du "Bonheur est dans le jardin"

Faire sa part

Tu m’as donné l’occasion de relire mon premier billet pour la première fois en 8 ans pour me replonger dans mes intentions initiales. « En France, la discipline est naissante. C'est pourquoi, armée de mon expérience californienne à la fois en salle de classe et sur le terrain, j'ai envie de montrer ce qui se fait dans ce domaine. Pour donner des idées, pour susciter des envies. » Au départ, les témoignages étaient 100% américains. A notre retour en France à l’automne 2012, j’ai commencé à basculer dans des exemples français en me connectant petit à petit avec une communauté grandissante et fourmillante. Notamment en participant à une de toutes premières formations aux jardins de soin proposée par le Domaine de Chaumont-sur-Loire. Quelle initiation et que de belles rencontres.

Il me semble que l’objectif reste encore aujourd’hui d’apporter des témoignages de terrain qui rendent compte de la variété d’approches et de la ténacité des porteurs de projets. J’ai aussi fait des séries sur les formations ou encore sur les sources de financements car c’étaient deux grands sujets sur lesquels les lecteurs me questionnaient. J’ai eu des invités à qui j’ai donné la parole (Nicole Brès, Stéphane Lanel, Philippe Walch, Heidi Rotteneder,…). J’ai aussi cherché à sortir des frontières de la France et des Etats-Unis. Cette liberté « éditoriale » est un vrai bonheur depuis le début. Aujourd’hui je n’écris plus professionnellement et mon blog est un de mes seuls espaces d’écriture complètement libres. Pendant le confinement, j’ai pris un plaisir renouvelé à écrire des textes plus personnels.

Enrichissement personnel via "Le bonheur est dans le jardin"

Du point de vue personnel, Le bonheur est dans le jardin m’a apporté beaucoup de joie. J’aime toujours autant les entretiens avec les personnes que je présente dans les billets. Quelle chance de pouvoir leur parler en direct pour retransmettre leurs expériences. Quand je reçois un email d’une lectrice ou d’un lecteur qui a des questions, je suis heureuse si je peux apporter des éléments de réponse ou les mettre en lien avec d’autres personnes.

Créer du lien

Avec Roger Ulrich et des membres de la FFJNS au Jardin des Mélisses au CHU de St Etienne en 2019

Quand ces mises en relation peuvent déboucher sur des collaborations entre les deux parties, je suis vraiment contente d’avoir pu aider à faire ce lien. Un des exemples les plus touchants pour moi a été le message que j’ai reçu en juin 2014 d’un interne en psychiatrie au CHU de Saint-Etienne. Il expliquait son éveil à l’intérêt du végétal dans la prise en charge des patients dans des termes très sensibles et me demandait comment entrer en relation avec Dr. France Criou-Pringuey que j’avais présentée quelque temps plus tôt. De cette rencontre sont nés le Jardin des Mélisses au CHU, une belle collaboration entre eux deux, des articles scientifiques, la thèse de doctorat de Romain et en 2019 un super colloque avec Roger Ulrich en keynote speaker. Que du bonheur dans le jardin ! Cela me fait un plaisir immense d’avoir eu ce modeste rôle de mise en relation. Pour moi, c’est exactement ce que j’espère comme retour de ce travail de « bloggeuse ». Cela peut sembler un peu naïf, mais le seul objectif de mon blog et de mon engagement dans la Fédération Française Jardins Nature et Santé se concentre dans le fait que des personnes qui en ont besoin se retrouvent en contact avec la nature, quelque soit le cadre.

Blog passion

Atelier avec Nicole Brès et un groupe venant d'un CITL (Centre d’Initiation au Travail et aux Loisirs) au Parc des Chanteraines dans le 92 en 2016

Sur le plan professionnel, mon blog a une position à part du reste de mon activité. En tant que journaliste et maintenant que psychologue, je ne m’appuie pas sur mon blog. J’ai peut-être même envie de garder les deux mondes un peu séparés ou en tout cas, je ressens une sorte de pudeur sans doute mal placée à mélanger les deux sphères. Par exemple, dans le cadre de mon poste actuel, je ne parle pas officiellement de mon activité de bloggeuse ou au sein de la Fédération Française Jardins Nature et Santé. Il faudra que je me demande pourquoi…

Enfin, c’est peut-être en train de changer car j’ai pour projet de commencer à la rentrée 2020 une activité complémentaire en tant que psychologue clinicienne en libéral et il se pourrait que l’écothérapie et la psychologie se rejoignent dans ce projet. C’est encore en chantier, je ne peux pas en dire beaucoup plus.

Naissance de la Fédération Française Jardins Nature et Santé

A partir de fin 2017 au symposium Jardins et Santé, j’ai fait partie de ce groupe de gens enthousiastes qui se sont rassemblés d’abord dans un bar, puis plus officiellement à l’hôpital Théophile Roussel de Montesson grâce à l’accueil de Didier Sigler pour créer ce qui est devenue la Fédération Française Jardins Nature et Santé. Je dois dire que l’impulsion de Jérôme Pellissier qui venait de publier le premier livre en français sur l’hortithérapie a été déterminante et j’ai beaucoup aimé travailler avec lui et tout le reste de cette « bande » dans cette effervescence des débuts.

Rassembler

Pour moi, l’idée qui nous a rassemblés est que des professionnels d’horizons très divers travaillaient, pour certains depuis des années, dans cette direction : plus de nature dans les parcours de soin pour le bénéfice des patients, des familles et des soignants pour faire court. L’envie était de se rassembler pour se soutenir mutuellement et pour faire connaître et reconnaître les pratiques de l’hortithérapie et de l’écothérapie. J’ai toujours eu le sentiment d’être un peu à part car je ne pratique pas sur le terrain et pourtant je pense que c’est mon rôle d'intermédiaire et de passeuse d’information depuis 2012 qui a permis que j’assume ce mandat de première présidente de la FFJNS.

Intérêt grandissant

Si je regarde la période de 2012 à 2017, je pense que nous avons constaté un intérêt grandissant des soignants et des établissements – notamment au service des personnes âgées et des personnes souffrant de troubles psychiques. Et pourtant, on bloquait et on bloque toujours sur la reconnaissance et la crédibilité scientifique, pourtant déjà pas mal démontrée de par le monde et plus récemment en France. De là, viendraient apparemment les freins à la généralisation de ces pratiques. Mais les freins doivent être plus profonds.

Je dirai que, dans les mois précédant la crise sanitaire du printemps 2020, on avait commencé à sentir un intérêt nouveau et grandissant, porté par les média grand public et professionnels, pour le besoin de connexion à la nature pour le bien-être humain. On verra comment ce « monde d’après » va se saisir de cet espoir, cet engouement pour une reconnexion à la nature au profit des plus fragiles, mais aussi de nous tous et toutes. En tout cas, j’ai beaucoup d’espoir, je suis très optimiste de nature ! C’est justement ce que j’ai voulu explorer dans mes billets d’avril, mai et juin 2020 (partie 1 et partie 2 tant il y avait à dire sur la reprise des activités de soin dans la nature).

Vision sur l'avenir

Comme Martin Luther King, j’ai un rêve. Vraiment, ne serait-ce pas merveilleux si dans toutes les maisons de retraite, les hôpitaux, les multiples lieux de soin et de vie qui accueillent des personnes de tous âges, l’accès au jardin et plus largement à la nature devenait…naturel, évident, acquis comme une évidence. Je pense surtout aux plus fragiles, c’est-à-dire potentiellement à chacun et chacune d’entre nous dans certains moments de notre vie.

Concrètement, cela passe notamment par des formations solides pour les médiateurs de ces espaces de nature dans les lieux de soins et par une meilleure connaissance et reconnaissance de l’hortithérapie et de l’écothérapie. Nous rencontrons beaucoup de personnes qui veulent se tourner professionnellement vers ces pratiques souvent au moment d’une reconversion, mais il faut que les établissements comprennent l’intérêt de recruter des personnes formées pour faire ce lien. Il y a du travail sur la planche.

Les projets de la Fédération Française Jardin Nature et Santé

La FFJNS avec l’énergie de ses membres organisés en groupes de travail, de son conseil d’administration et de son bureau essaie justement de faire avancer les choses. Il s’agit de mieux aider les membres en leur apportant les ressources dont ils ont besoin (bibliographie solide, annuaire visible, connaissances sur les sources de financement, échanges avec d’autres membres nationalement, mais aussi localement,…) et de continuer à sensibiliser nos interlocuteurs du Ministère de la Santé et ARS aux responsables d’établissements et aux associations de malades et de proches qui me semblent absolument cruciales. Notre site continue à évoluer (merci de ton aide pour le démarrage quand tu l’as géré !) et nos réseaux sociaux à se renforcer car nous sommes aussi des êtres digitaux dorénavant.

D’ailleurs pendant le confinement, nos groupes de travail et le CA se sont beaucoup réunis sur Zoom.

Axes de travail

Si on parle justement des axes des groupes de travail depuis le début de l’année, nous en avons quatre : bibliographie, délégations locales, sensibilisation des décideurs et financement de projets. Notre semaine « Un air de printemps » prévue pour la semaine du 21 mars a bien sûr été annulée comme tant d’autres événements ce printemps. Vive la Semaine nationale de l’hortithérapie et de l’écothérapie que nous organisons à l’automne sur le thème « Faire entrer la nature dans le parcours de soin » !

Autre facette

Isabelle est également autrice de deux ouvrages aux éditions Hatier :

A vous la parole

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